Les loukoums Parfois, on vous offre des loukoums dans une boîte pyrogravée. C'est le loukoum de retour de voyage ou, plus aseptisé encore, le loukoum-cadeau-du-dernier-moment. C'est drôle, mais on n'a jamais envie de ces loukoums-là. La large feuille transparente glacée qui délimite les étages et empêche de coller semble empêcher aussi de prendre du plaisir avec ce loukoum entre deux doigts - loukoum d'après le café qu'on appréhende sans conviction du bout de l'incisive, en secouant de l'autre main la poudre tombée sur son pull. Non, le loukoum désirable, c'est le loukoum de la rue. On l'aperçoit dans la vitrine : une pyramide modeste mais qui fait vrai, entre les boîtes de henné, les pâtisseries tunisiennes vert amande, rose bonbon, jaune d'or. La boutique est étroite, et pleine à craquer du sol au plafond. On entre là avec une timidité condescendante, un sourire trop courtois pour être honnête, déstabilisé par cet univers où les rôles ne sont pas distribués avec évidence. Ce jeune garçon aux cheveux crépus est-il vendeur, ou copain du fils du patron ? Il y a quelques années, on avait toujours droit à un Berbère à petit béret bleu, on se lançait en confiance. Mais maintenant, il faut se risquer à l'aveuglette, au risque de passer pour ce qu'on est - un béotien gourmand désemparé. On ne saura pas si le jeune homme est vraiment vendeur, mais en tout cas il vend, et cette incertitude prolongée vous met un peu plus mal à l'aise. Six loukoums ? A la rose ? Tous à la rose, si vous voulez. Devant cette obligeance prodiguée avec une désinvolture que l'on craint légèrement moqueuse, la confusion grandit. Mais déjà le « vendeur » a rangé vos loukoums à la rose dans un sac en papier. On jette un œil émerveillé sur la cale au trésor, carénée de pois chiches et de bouteilles de Sidi Brahim, où même le rouge des boîtes de coca empilées a pris un petit air kabyle. On paie sans triomphalisme, on part presque comme un voleur, le sachet à la main. Mais là, sur le trottoir, quelques mètres plus loin, on a soudain sa récompense. Le loukoum de l'Arabe est juste à déguster comme ça, sur le trottoir, en douce, dans la fraîcheur du soir - tant pis pour la poudre qui s'éparpille sur les manches. Philippe Delerm |
Turkish Delight from the Arab Shop Sometimes, you get offered Turkish Delight in a white wooden box, with a pattern burnt onto the lid. That's the sort of Turkish Delight brought back as a holiday souvenir or, worse, the Turkish Delight bought as a last-minute gift. Funnily enough, you never really fancy eating that sort of Turkish Delight. The wide, shiny transparent plastic sheet separating the layers and stopping them from sticking together also seems to take the pleasure away from that Turkish Delight, held between two fingers - the kind of Turkish Delight you eat after the mealtime coffee, dubiously biting into it with your incisors whilst your free hand brushes off the icing sugar that has fallen onto your jumper. No, in fact the only desirable sort of Turkish Delight is the kind you can eat in the street. You catch sight of it in the shop window, forming a modest but authentic-looking pyramid, sat in the middle of boxes of henna and Tunisian sweets with their almond green, candy-pink and buttercup yellow colours. The shop is narrow and packed full from top to bottom. You go in with condescending timidity and a smile too courteous to be honest, made unsure by this universe where the roles are not easily identifiable. Is the young, frizzy-haired boy the shop assistant or rather a friend of the shopkeeper's son ? A few years ago you were sure of being served by a Berber with his small, blue beret and you could quite confidently launch into things. But now you have to blindly take the risk, risking to be taken for exactly what you are - a helpless and greedy philistine. You'll never know whether the young man really is the shop assistant but in any case he's prepared to sell and your prolonged doubts make you even more uneasy. Six pieces of Turkish Delight ? Rose flavoured? All of them rose-flavoured if you like. Faced with such casual obsequiousness, smacking of mockery, your confusion grows. But the 'shop assistant' has already put your rose-flavoured Turkish Delight in a paper bag. You glance wondrously at the treasure trove, packed with chick peas and bottles of Sidi Brahim wine, where even the red piles of coca cola cans have taken on that fiercely independent Kabyle look. You pay without triumph, you leave almost like a thief, clasping your bag. But right there, on the pavement, a few yards away, you reap your reward. You can savour the Turkish Delight from the Arab shop just as it is, on the pavement, secretly, in the cool of the evening - who cares about the icing sugar sprinkling over your sleeves ? |