Résumé
L'analyse de la typologie des fautes est utile pour l'avancement de la traduction. Avec l'avènement de la linguistique de corpus et du traitement automatique des données, il est possible aujourd'hui de recueillir bon nombre de productions réelles d'un traducteur donné pour les analyser afin de comprendre autant le traducteur lui-même que l'exercice de la traduction. Dans ce présent article, nous nous donnons pour tâche de déterminer la compétence de certaines machines de traduction (et par extension, de la traduction automatique) en nous basant sur un corpus composé de leurs productions réelles.
Abstract
The analysis of the types of errors helps advance the science of translation. Using corpus linguistics and data processing, it is now possible to gather a large number of translations performed by a given translator and analyze them to understand both the translator and the translation process. In this paper, we attempt to determine the competence of certain Web-based translation engines (and, by extension, of machine translation), based on a corpus of their actual production.
0 Introduction
ous avons suivi ici deux démarches pour inscrire ce travail dans le cadre de l'analyse de la typologie des fautes comme moyen d'avancement de la traduction (car, il faut être conscient de ses défauts pour s'améliorer). Primo, l'analyste se constitue un corpus, et, secundo, il l'examine méticuleusement pour livrer ses observations. C'est à partir de ce corpus et des observations qu'il en fait qu'il parvient aux résultats de son enquête, lesquels permettent d'aller de l'avant. Depuis l'avènement de la grammaire générative de Chomsky (1957, 1965) et de ses disciples, on est capable de se baser sur la performance d'un locuteur d'une langue, c'est-à-dire la manifestation concrète de son usage de la langue, pour déterminer sa compétence. Si l'on peut se permettre d'appliquer cette conception générativiste dans un contexte de traduction, la compétence équivaudrait à l'ensemble des règles et des considérations que le traducteur doit consciemment et inconsciemment respecter pour achever une traduction de bonne qualité, tandis que la performance représenterait ses propres productions réelles, fournies à partir des textes de départ. Pour déterminer la compétence d'un traducteur donné, le recours à un corpus de productions réelles est un outil indispensable qui permet de se baser sur la performance de ce dernier pour déterminer sa compétence ou son incompétence, le cas échéant, et lui offrir ainsi l'occasion de s'en rendre compte. Ainsi, il pourra apporter des modifications là où il le faut, et ultimement, évoluer en allant de l'avant. Par exemple, si l'on veut constater les défauts et les problèmes que rencontrent des étudiants en traduction, il serait très utile de dépouiller et d'analyser des textes traduits par ces derniers, en comparant ces textes avec leurs versions originales. Les résultats ainsi obtenus permettent de comprendre non seulement les défis auxquels se heurte telle catégorie de traducteurs, mais aussi les différentes options syntaxiques, qui sont à leur disposition et les processus psychologiques, mentaux, etc., qui régissent chacun de leurs choix.
Depuis toujours, les analystes recourent souvent à la méthode introspective d'illustration pour l'analyse des fautes de traduction. Cette méthode, plus ou moins traditionnelle, consiste pour l'analyste à se constituer un corpus composé des textes, des exemplifications, et des énonciations qu'il fournit soi-même en répondant à des questions telles que : comment est-ce que je dirais ça ? Est-ce que cette phrase est correcte ? Que serait la forme erronée de telle ou telle expression ? Ledit analyste module ses descriptions, modélise des phénomènes de variation selon une technique de recours à sa propre intuition, à ses propres exemplifications. Il est cependant incontestable que cette approche puisse aboutir à des résultats intéressants, ou que l'analyse soit souvent fine et étayée sur des exemples acceptables. Mais cette méthode a ses propres défauts :
- Les exemplifications et illustrations fournies en guise de démonstration des fautes de traduction sont souvent coupées de toute situation traduisante réelle, de tout usage réel de la langue ;
- Le jugement personnel de l'analyste et ses propres opinions sur des faits (courant ainsi le risque de les ériger en règles générales) constituent un outil de recherche privilégié donnant lieu à une technique fondée sur la subjectivité.
Une deuxième méthode que l'on doit aujourd'hui à la linguistique de corpus est d'examiner un corpus de productions réelles, ce genre de corpus étant composé des ouvrages que le traducteur, sur qui porte l'enquête, aurait traduits lui-même, y compris les versions originales. Pour orienter ce travail vers sa voie principale, mentionnons qu'il est indubitable que l'ordinateur est parvenu à prendre dans une très large mesure la place des êtres humains dans beaucoup d'aspects, de domaines, et d'activités. En traduction, par exemple, remplacer les traducteurs humains par des machines est l'un des objectifs de l'introduction, depuis des années 70, de logiciels et de programmes informatiques dotés de la capacité de traduire. Cette étude est un travail pratique que nous avons mené dans le cadre de notre cours de français (FREN) 5016. C'est une analyse des résultats obtenus par la traduction (à l'aide des ressources informatiques : www.freetranslation.com et www.altavista.ca) de dix textes (anglais et français, tirés de multiples domaines et disciplines) que nous avons traités en classe. Ces textes constituent le corpus à partir duquel nous allons au fur et à mesure extraire des segments de phrase pour expliciter certains faits observés. Dans les exemples que nous fournirons dorénavant, les segments de phrase tirés de productions réelles dans www.freetranslation.com seront marqués FT, ceux tirés de www.altavista.com, AV, tandis que les extraits des textes de départ seront marqués TD. Notre analyse, qui porte sur la typologie des fautes remarquées dans les textes traduits (du français vers l'anglais et vice versa) par ordinateur, vise à déterminer jusqu'à quel point la production automatique en matière de traduction répond aux critères de la théorie interprétative.
Conscients des défis que les mots du texte de départ sont à même de poser à des traducteurs et à des interprètes, Seleskovitch et Lederer (1984) développent depuis longtemps une théorie de traduction connue aujourd'hui sous le nom de la théorie interprétative, théorie du sens, ou théorie de l'École de Paris. Ladite théorie est destinée à soulager le traducteur du fardeau que représentent les mots de la langue du texte original ; à l'aider à se débarrasser des pièges que ces mots sont en mesure de lui tendre. Bien que les mots du texte original jouent un rôle indéniable dans l'appréhension du message qu'on cherche à transmettre, admettons que c'est aussi là qu'émergent bon nombre de fautes de traduction, surtout pour la catégorie de traducteur sur laquelle porte cette investigation. Rappelons dès maintenant que, bien entendu, la théorie interprétative identifie deux étapes complémentaires du métier de traducteur, celle de la compréhension et celle de la reproduction du message dans une langue cible. À partir de ces deux étapes déjà identifiées, nous nous permettrons de pousser plus loin en décomposant les processus de traduction en quatre étapes ou niveaux représentés dans le diagramme suivant, qui guidera notre analyse.
Cela fait donc quatre niveaux de l'exercice traduisant. Au niveau de la réception du message, le traducteur doit absolument posséder la capacité d'intérioriser les données par la lecture ou par l'écoute. La maîtrise des deux langues dans lesquelles s'effectuent ces opérations est sans doute le mécanisme qui leur permet de se produire. Au niveau de la compréhension, le traducteur doit posséder les capacités mentales innées, qui lui permettent de corréler l'aspect sémantique et l'aspect morphologique ou phonique des deux langues. Son habileté à comprendre lui sert, dans la troisième étape, à mettre en œuvre toute une gamme de supports psycholinguistiques permettant de nombreux choix grammaticaux, syntaxiques, morphologiques, sémantiques, entre autres. C'est en fait à ce niveau que la compétence du traducteur dans les deux langues impliquées est mise à l'épreuve pour produire des résultats, ses propres productions réelles : le message transmis à son propre public. Consciemment ou inconsciemment, les quatre niveaux d'opération décrits plus haut s'effectuent dans l'exercice traduisant et une déficience de l'un d'eux affecte le fonctionnement du traducteur dans le niveau suivant. Par exemple, si le texte original est ambivalent ou illisible, et si le traducteur ne parvient pas à lire entre les lignes à chaque fois qu'il le faut, sa compréhension sera largement affectée, et une mauvaise compréhension du message risque d'aboutir à une incapacité de bien le reproduire dans le contexte de la langue cible. Donc, dans le cadre du FREN 5016, nous nous sommes basés sur ces différents niveaux pour analyser un corpus de productions réelles des machines de traduction automatique déjà identifiées, le but étant de constater dans quelle mesure les processus de traduction automatique s'adaptent aux démarches de la théorie interprétative.
Les variétés des résultats obtenus, dont quelques aspects seront traités ici, nous obligent à supposer que la théorie interprétative se veut réaliste chez des traducteurs humains ayant des connaissances encyclopédiques de la structure grammaticale et syntaxique des deux langues. Des connaissances du fondement culturel des deux langues dans lesquelles s'effectue le transfert de message qu'est la traduction s'avèrent aussi très valables. Il faut être conscient de la façon dont chacune des langues en question organise ses propres ressources lexicales pour exprimer des réalités, capacité dont les machines ne peuvent pas se vanter. En fonction des résultats obtenus, on dirait qu'en l'état de la technologie au moment où l'on parle, l'ordinateur se montre incapable de compléter parfaitement les quatre niveaux, c'est-à-dire de recevoir le message, de bien le comprendre, de le reproduire/reformuler correctement en fonction de la structure et du contexte culturel de la langue cible, et finalement, de le transmettre dans une langue d'arrivée correcte.
Dans un article récent, du « Point de vue d'une praticienne » de la théorie de l'École de Paris, Herbulot (2004) a repris les grandes lignes de ladite théorie tout en insistant sur le fait que, parmi ses diverses caractéristiques, la théorie interprétative « repose sur un principe essentiel : la traduction n'est pas un travail sur la langue, sur les mots, c'est un travail sur le message, sur le sens » (Herbulot 2004 : 307). Cette affirmation implique qu'entre l'auteur et le destinataire, le traducteur s'intercale, et, de par sa compréhension du sujet de discussion, s'assure que ces deux parties se comprennent l'une et l'autre. Si l'ordinateur peut remplacer le traducteur humain, cela veut dire qu'il doit également posséder les qualités mêmes qui permettent à l'homme de comprendre toutes les expressions que produit un locuteur/auteur, y compris celles qui sont explicitement énoncées et celles qui sont nuancées ou exprimées de manière ambivalente, laissant à l'interlocuteur la tâche de déchiffrer le sens. Bien entendu, la langue est un système de créativité dont chaque locuteur peut se servir à sa façon pour manipuler délibérément ses opinions pourvu que toutes les règles conventionnelles de ce système soient respectées. Notre étude démontre donc que l'ordinateur reçoit le message sous forme d'entrée, mais qu'entre le niveau de la compréhension du message et celui de la transmission qu'il en fait sous forme de sortie, certaines discordances se produisent qui remettent en question sa compétence. Les résultats obtenus prouvent que parmi les nombreux défauts de la machine, les problèmes qui relèvent de la structure de la langue d'une part, et ceux de l'interprétation du contexte d'autre part, abondent. Parmi les différentes manifestations de discordances structurelles on n'abordera que les fautes d'emprunt, les emplois agrammaticaux des éléments prépositionnels et autres typologies de fautes syntaxiques. Parmi toutes les formes que prennent les discordances contextuelles, nous nous en tiendrons ici à des discordances sémantiques et aux choix erronés entre unités synonymiques.
1 Emprunt : faute de traduction automatique
On a relevé bon nombre d'emprunts que l'on pourrait juger injustifiables et inexplicables. Bien entendu, l'emprunt n'est pas une faute de traduction si le traducteur recourt à ce procédé au moment où il le faut. Il s'avère d'ailleurs une très bonne technique pour retenir des éléments de beauté lexicale, structurelle, culturelle, entre autres, de la langue dans laquelle le texte original a été rédigé. Nous avons relevé beaucoup d'emprunts pouvant être perçus comme des fautes de traduction, car les machines recourent à ce procédé au moment où d'autres solutions meilleures sont à leur disposition, mais aussi parce que ces emprunts ont des équivalents en français et auraient facilité la tâche à un destinataire parlant français ou anglais, le cas échéant. Commençons par considérer les exemples 1, 2, et 3 où parties soulignées demandent notre attention :
- Ce n'est que lorsque des amis l'ont taquinée...
(TD) ;
This n'est that when friends l'ont teased... (FT).
- ... un magazine d'art tiré
à 800 exemplaires... (TD) ;
... a magazine d'art pulled to 800 copies... (FT).
- ... les grands médias se sont intéressés à
l'affaire... (TD) ;
... the big media were very interested in l'affaire (FT).
Nous nous basons sur les différents contextes dont les extraits ci-dessus sont tirés pour avancer que les emprunts n'est, l'ont, d'art, et l'affaire, entre autres, ne devraient pas avoir de place dans la production réelle que le traducteur livre à son public, puisqu'ils ont des équivalents dans la langue anglaise. C'est dans des cas pareils que l'emprunt est considéré comme une faute de traduction. Les discordances de ce genre foisonnent lorsqu'on traduit avec FT. Au lieu de fournir une explication à ce genre de phénomène, on dirait peut-être que l'élision des voyelles, « e » et « a », par exemple, devant des mots français commençant par une voyelle (un phénomène rare en anglais formel) est trop compliqué pour cette machine, soit dans le cas présent l'article « l' », la marque de négation « n' », ou la préposition « d' » devant les substantifs, les adjectifs, et les formes flexionnelles de certains verbes.
2 Discordances prépositionnelles
Par discordances prépositionnelles, il faut entendre des fautes de structure de langue qui relèvent de la suppression ou de l'ajout d'un élément prépositionnel là où il ne le faut pas. Dans l'un des textes de départ où figurent les locutions « revenus de dividendes » et « revenus d'intérêts », que l'on pourrait respectivement remplacer en anglais par « dividend income » et « interest income », les deux machines ont chacune suivi fidèlement la structure de la langue française pour les traduire par « incomes of dividends » et « incomes of interests ». Bien sûr, tous les mots du texte de départ sont soigneusement remplacés par leurs équivalents en anglais « revenus » par « incomes », « de ou d' » par « of », « dividendes » par « dividends », et « intérêts » par « interests ». Mais puisque la mémoire de la machine a déjà été programmée pour que la préposition « de » se traduise en anglais par « of » chaque fois que le mot apparaît, elle a tendance à procéder à ce remplacement machinal sans se soucier si cela aboutit à une forme erronée dans la langue cible. C'est pour éviter ce genre de problème que la traduction ne doit pas se fonder à cent pour cent sur le mot, mais plutôt sur le sens qu'il faut capter, puis, ré-exprimer selon la structure morphosyntaxique de la langue d'arrivée.
Parfois, il arrive que le traducteur se heurte à des situations où il lui incombe de choisir entre deux prépositions synonymiques ou quasi-synonymiques de la langue cible pour remplacer une préposition de la langue de départ. Par exemple, la préposition anglaise « in » peut être traduite en français par « à », « en », ou « dans » selon le sens de l'énoncé où elle figure. Ainsi, la préposition anglaise « in » dans la phrase « Rebecca Smith arrived in New York a little more than a year ago » pose énormément de problèmes à l'un des deux traducteurs informatiques. AV la traduit par « Rebecca Smith est arrivé à New York peu davantage qu'il y a une année », et FT, par « Rebecca Smith est arrivé dans New York un petit plus qu'il y a une année ». Bien que le premier parvienne à un choix acceptable au niveau de la préposition, la traduction de « a little more than a year ago » par « peu davantage qu'il y a une année » est incompréhensible, une trahison du sens du texte original, et donc, inadmissible.
Il y a aussi des cas où l'une des langues permet l'ajout d'une préposition, ce qui fait qu'on peut correctement traduire « investment income » en français par « revenus de placement » en insérant la préposition « de ». La relation de désignation, autrement dit, relation de détermination entre « investment » et « income » est bien exprimée en anglais sans l'intervention d'une préposition, ce qui n'est pas le cas en français. Alors qu'il faudrait ajouter une préposition lorsqu'on traduit vers le français, ce n'est pas le cas lorsqu'on traduit ver l'anglais. Considérons les exemples suivants :
- La littérature financière aborde régulièrement le sujet de la fiscalité des trois principaux revenus de placement : l'intérêt, le dividende et le gain en capital (TD) ;
The financial literature regularly tackles the subject of the taxation of the principal trios returned of placement : interest, the dividend and capital gain (AV) ;
The financial literature uniformly approaches the subject of the taxation of the principal trios returned of placement : l'intérêt, the dividend and the gain in capital (FT).
Outre l'insertion de la préposition « of » entre « returned » et « placement », la morphologie du mot « returned » démontre que chacune des deux machines prend le terme « revenus » pour un verbe le participe passé du verbe « revenir ». On peut donc dire que le problème commence au niveau de la compréhension et finit par affecter la reproduction et la transmission. Si c'est le cas, cela découle d'une connaissance insuffisante de la langue de départ, une situation qui est à l'opposé de ce qui constitue idéalement un bon traducteur.
On remarque aussi des cas où les machines prennent à tort des éléments adjectivaux ou adverbaux pour des prépositions. Dans l'un des textes de départ, l'expression « Rien n'est moins sûr » a provoqué énormément des problèmes de reproduction et de reformulation. Le mot « sûr », malgré l'accent circonflexe qui le distingue de la préposition « sur », a été traduit par chacune des deux machines par l'anglais « on », soit « Nothing is less on ».
Ce serait une grande erreur de se baser sur la plupart des exemples qu'on a vus jusqu'ici pour estimer que les discordances prépositionnelles en traduction ne trahissent pas le sens. Voyons d'abord l'exemple numéro 5 qui suit :
- Ce n'est que lorsque des amis l'ont taquinée que la jeune fille en noir, Pascale Claude Aubry, a appris l'existence de la photo (TD) ;
It is only when friends teased it that the girl in black, Pascale Claude Aubry, learned the existence from the photograph (AV).
Dans ce cas, le choix fautif de « from » pour « de » est une erreur qui coûte très cher sur le plan sémantique. Dans le texte original, Pascale Claude Aubry a appris que ladite photo existait depuis, mais dans la version traduite, AV nous donne l'impression que la fille a appris l'existence à partir de la photo, ce qui n'est pas vrai. Ce genre de discordance découle d'une traduction médiocre, qui non seulement trahit le sens du message original, mais aussi le but de l'exercice traduisant qui est, entre autres, d'assurer une compréhension entre l'auteur et le destinataire. On peut situer ce genre de faute dans le cadre de la mauvaise compréhension qui finit par nuire à la reproduction et à la transmission. Je crois que c'est pour éviter des erreurs de ce genre que le traducteur doit s'éloigner un peu de l'aspect lexical de la langue de départ pour s'accrocher à son aspect sémantique, car la compréhension du message est un élément indispensable de son travail. Les deux machines se laissent influencer par la structure de la langue de départ parce qu'elles exécutent leur tâche en fournissant des équivalents dans la langue d'arrivée, selon la manière dont elles ont été préalablement programmées dans leur système lexical. C'est là où réside l'une des grandes différences entre le traducteur machine et le traducteur humain, car ce dernier est capable de comprendre qu'il traite avec des langues naturelles et non des langues artificielles, et que la traduction dépasse un simple remplacement des mots entre langues. Elle représente quelque chose de fondamental dans les échanges interculturels, un élément important sur le plan mondial pour le développement des informations, le partage et la vulgarisation des connaissances et des idées qui se font par le biais des langues. D'un point de vue particulier, celui de la langue française, il faut comprendre la traduction comme un véritable élément qui joue d'innombrables rôles dans la pratique et l'analyse de la diversité linguistique entre le français et les autres langues.
3 D'autres fautes grammaticales
Dans cette partie, notre intérêt se porte sur les discordances purement grammaticales, l'accord de nombre et de genre, de participe passé, et d'adjectif, par exemple. Puisque les fautes de ce genre abondent dans notre corpus, nous nous permettrons d'examiner brièvement seulement celles qui portent sur des éléments substantivaux, soit la traduction des pronoms. Entre le français et l'anglais, les deux machines éprouvent des difficultés à déterminer quand il faut traduire le pronom « il » par « he » ou « it », et « elle » par « she » ou « it ». Prenons d'exemple la phrase suivante :
- Cependant, il peut réclamer directement dans le calcul de ses impôts à payer un crédit de 13,33% (TD) ;
However, it can claim directly in the calculation of its taxes to pay a credit of 13,33% (AV et FT).
- « Je travaille si vite que la plupart de mes sujets ignorent ma présence », dit-il (TD) ;
« I work so quickly that the majority of my subjects be unaware of my presence », say it (AV).
Dans l'exemple numéro 6 ci-dessus, les deux machines nous proposent exactement la même réponse. Le pronom « il » est remplacé par « it », un pronom du genre neutre en anglais, alors que dans le texte original, il s'agit nettement d'un individu, d'un contribuable. Dans une situation pareille, le texte original que l'on voit dans le septième exemple est une déclaration faite par un photographe. Le pronom « il », bien qu'il désigne une personne dans le texte de départ, est traduit par « it ». Ce faisant, le traducteur a failli à son devoir à cause de son incapacité à établir un accord entre le verbe « to say » et le pronom « it » qu'il a choisi. La structure de la langue française est aussi retenue par la machine qui place le verbe « say » avant le pronom « it » dans un contexte où cela devrait être l'inverse he said.
4 Discordances sémiques
Dans le cadre de la discordance contextuelle, deux manifestations intéressantes seront brièvement abordées ici. D'abord la disjonction sémantique, soit par omission, soit par insertion de mots dans le contexte de la production réelle où une telle omission ou insertion est sémantiquement incohérente avec le texte de départ. Puis le choix fautif entre des mots synonymiques dans la langue cible, finissant par détourner le sens du texte original. Par rapport à la discordance sémique, l'exemple numéro 8 qui suit ne servira qu'à illustrer l'omission d'une certaine partie du texte original pour produire une perte sémantique dans la version traduite.
- How to become an instant art star (TD) ;
Comment devenir un art instantané (AV).
Par opposition à des discordances au niveau de la structure de langue, les discordances contextuelles sont plus destructrices parce qu'elles portent beaucoup plus sur le sens que sur la forme lexicale. Chaque fois qu'un traducteur tombe dans le piège de ce genre de discordance, il finit par ne plus atteindre son objectif par rapport au locuteur et à l'interlocuteur. Dans l'exemple ci-dessus, on peut facilement constater que AV n'a pas seulement causé une discordance structurelle, mais aussi que le sens est trahi dans la transmission. Dans le texte original, il n'est pas question de comment devenir un art, mais plutôt de comment devenir un artiste. C'est pour éviter des lacunes de ce genre en traduction que la théorie interprétative recommande vivement que, pour être efficace, l'action du traducteur ne doit pas « s'exercer sur le plan des mots, sur le plan de la langue, mais le plan du sens », et qu'il doit « fournir un message équivalent, pour obtenir le même résultat, produire le même effet » (Herbulot 2004 : 308).
Pour ce qui a trait aux synonymes dans le contexte interlingue, une bonne connaissance des deux langues (l'anglais et le français dans ce cas) implique une conscience des entraves que les synonymes, les mots polysémiques, ou même les faux amis peuvent constituer. Cela implique que le traducteur se rende compte qu'il ne faut pas, par exemple, traduire le verbe français « toucher » par l'équivalent anglais « touch » dans tous les cas. Quand on a affaire à des collocations telles que « toucher un salaire » et « toucher des revenus de dividendes », le verbe « toucher » devient assez flexible pour modifier un peu son sens propre en fonction de sa corrélation avec d'autres mots.
- Quel est alors l'avantage de toucher des revenus de dividendes au lieu de revenus d'intérêts ? (TD) ;
Which is then the advantage of touching incomes of dividends instead of incomes of interests ? (AV).
La phrase 9 aurait mieux été traduite par What then is the advantage in taking in/receiving a dividend income instead of an interest income ? La question ici n'est pas de déterminer si le mot « what » se trouve dans le bagage lexical de AV, mais plutôt s'il est capable d'établir dans quel contexte il faut traduire « quel » par « which » ou « what ». C'est dans ce sens qu'il faut l'intervention du traducteur à qui il revient (en tant que locuteur des langues naturelles) de faire un choix parmi la multiplicité de possibilités d'expressions que la langue lui offre. Ce qui suit s'inscrit aussi dans le cadre d'une discordance contextuelle provoquée par le choix entre synonymes.
- La jeune fille a poursuivi le magazine et le photographe, leur réclamant 10,000 dollars en dommages et intérêts (TD) ;
The girl continued the magazine and the photographer, claiming 10,000 dollars in damages to them (AV) ;
The girl followed the magazine and the photographer, claiming them 10, 000 dollars in damages and interests (FT).
Est-ce que le verbe français « poursuivre » est traduisible en anglais par « to continue », « to follow », ou « to sue » ? Bien sûr, mais il incombe au traducteur de déterminer, selon le contexte, quand il faut choisir l'un et non l'autre. Dans le contexte ci-dessus, la traduction de « poursuivi » par « continued » et « followed » est inadmissible parce que selon le sens qu'on obtient du texte original, il ne s'agit pas de « chasser » ni de « venir après », mais plutôt d'« intenter un procès à des personnes mentionnées » The young lady sued the magazine and the photographer, claiming $10,000 in damages.
5 Évolution des machines
Les hommes évoluent, la technologie évolue et le monde évolue aussi. Donc consacrons maintenant un paragraphe à l'évolution des sites AV et FT. L'analyse que nous avons présentée dans cet article est alimentée par des exemples obtenus en mars 2005, car le cours de FREN 5016 a été donné pendant le semestre d'hiver de la même année. En août 2005, on a tenté de retraduire les mêmes textes en utilisant les mêmes machines, et par la suite, on a constaté qu'entre mars et août, FT a subi une remarquable évolution qu'on pourra constater dans cette partie. Nous n'en ferons aucune analyse détaillée, mais nous nous contenterons de dresser un tableau statistique de l'évolution dans le but de laisser à nos lecteurs la tâche de déterminer combien les deux machines ont évolué. L'extrait comprendra comme d'habitude une partie du texte original, la performance des deux machines au mois de mars (constatable à partir des différentes versions de texte et des nombres de mots) mise côte à côte avec leur performance en août 2005. Le pourcentage d'évolution pour chacune des deux machines se détermine par le nombre d'unités de variance entre la version de mars et celle d'août.
Tableau d'évolution
Source/Date |
Textes |
Nombre de mots |
Nombre de variants |
TD |
Ce n'est que lorsque des amis l'ont taquinée que la jeune fille en noir, Pascale Claude Aubry, a appris l'existence de la photo. Duclos l'avait prêtée à Vice-Versa, un magazine d'art tiré à 800 exemplaires, pour illustrer un reportage sur la vie urbaine. La jeune fille a poursuivi le magazine et le photographe, leur réclamant 10,000 dollars en dommages et intérêts. Pour leur défense, Gilbert Duclos et Vice-Versa ont évoqué le droit à l'information et à la liberté d'expression |
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- |
FT, mars 2005 |
This n'est that when friends l'ont teased that the girl in black, Easter Claude Aubry, learned l'existence of the photo. Duclos l'avait lent to Vice versa, a magazine d'art pulled to 800 copies, to illustrate a report on urban life. The girl followed the magazine and the phographer, claiming them 10,000 dollars in damages and interests. For their defense, Gilbert Duclos and Vice versa evoked the right to l'information and to liberty d'expression |
73 |
- |
FT, août 2005 |
It is only when friends teased it that the girl in black, Easter Claude Aubry, learned the existence of the photo. Duclos had lent it to Vice versa, an art magazine pulled to 800 copies, to illustrate a report on urban life. The girl followed the magazine and the photographer, claiming them 10,000 dollars in damages and interests. For their defense, Gilbert Duclos and Vice versa evoked the right to information and to expression liberty |
75 |
8 |
AV, mars 2005 |
It is only when friends teased it that the girl in black, Pascale Claude Aubry, learned the existence from the photograph. Duclos had lent it to Vice-Poured, a magazine of drawn art to 800 specimens, to illustrate a report on the urban life. The girl continued the magazine and the photographer, claiming 10,000 dollars in damages to them. For their defense, Gilbert Duclos and Vice-Poured evoked the right to the information and the freedom of expression |
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AV, août 2005 |
It is only when friends teased it that the girl in black, Pascale Claude Aubry, learned the existence from the photograph. Duclos had lent it to Vice-Poured, a magazine of drawn art to 800 specimens, to illustrate a report on the urban life. The girl continued the magazine and the photographer, claiming 10,000 dollars in damages to them. For their defense, Gilbert Duclos and Vice-Poured evoked the right to the information and the freedom of expression |
76 |
0 |
En définitive, il faut réaffirmer que si la traduction était un simple remplacement des mots par des équivalents dans une autre langue, elle aurait été réduite à un exercice machinal où l'ordinateur est roi. Mais puisqu'elle ne l'est pas, le traducteur doit être créatif dans ses interventions. Grâce à une bonne compréhension du message, le traducteur le transmet selon son propre choix/bagage lexical à partir d'une gamme de moyens lexicaux que lui offre la langue du destinataire. Puisque la machine dépend de l'entrée lexicale de la langue de départ pour produire sa sortie, l'exercice est tout à fait machinal, ce qui donne une part minimale à la créativité et à l'interventionnisme du traducteur. Quant à la pratique de la traduction, l'ordinateur ne possède pas encore cette connaissance encyclopédique de l'organisation structurelle, culturelle et syntaxique des langues naturelles, qui se voit chez les humains, ce qui fait que celui qui est destiné originalement à remplacer les traducteurs humains a fini par devenir un outil de travail pour ces derniers.
RÉFÉRENCES
CATFORD, John Cunnison (1965) : A Linguistic Theory of Translation : An Essay in
Applied Linguistics. London, Oxford University Press.
CHOMSKY, Noam (1957) : Syntactic Structures. La Haye, Mouton.
CHOMSKY, Noam (1965) : Aspects of the Theory of Syntax. Cambridge/Massachusetts,
The MIT Press.
HERBULOT, Florence (2004) : La théorie interprétative ou théorie du sens : point de
vue d'une praticienne, Meta, 49-2, p. 307-315.
MUNDAY, Jeremy (1998) : A Computer-Assisted Approach to the Analysis of
Translation Shifts, Meta, 43-4, p. 542-556.
SELESKOVITCH, Danica et Marianne LEDERER (1984) : Interpréter pour traduire.
Paris, Didier Érudition.
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