Abstract
The translation of economic and financial texts requires a range of skills extending far beyond purely linguistic expertise. Along with above-average writing skills, a certain knowledge of the language of economics is one of the many qualities required from the specialized translator. Based on this observation and drawing on a variety of examples taken from the press and the author's professional experience, this article sets out to show how the language of economics works before discussing various aspects of economic and financial translation, focusing on such issues as collocation, metonymy and polysemous terms.
veuglés par l'appât du gain ou simplement soucieux de se « spécialiser » dans un domaine parmi d'autres, beaucoup de traducteurs se lancent aujourd'hui dans la traduction économique et financière sans y être réellement préparés, avec les résultats que l'on peut imaginer. Absence totale de compétences rédactionnelles et connaissance approximative, ou inexistante, du sujet traité ne sont que deux des défauts, parfois rédhibitoires, que peuvent manifester ces traducteurs, inconscients des nombreux défis qu'ils devront relever pour s'imposer dans ce domaine si exigeant.
la langue économique et financière est en même temps une langue « vivante », dotée d'une personnalité à part entière, et une langue très technique.
| Le texte qui suit n'a pas pour ambition de former les (futurs) traducteurs à l'ensemble des spécificités de la traduction économique et financière : il se propose simplement, dans un premier temps, de dresser une typologie succincte du discours économique et financier, puis de passer en revue les principales caractéristiques de la traduction économique, en s'arrêtant notamment sur l'importance des collocations, l'utilité des métonymies, la traduction des termes dits « passe-partout » ou encore, les problèmes liés à la polysémie de certains termes.
Le texte comporte de nombreux exemples extraits, pour les premières rubriques, de la presse spécialisée, puis, pour les exemples de traduction, de la pratique professionnelle de l'auteur, ce qui permet de lui donner une dimension réaliste indispensable à la crédibilité de son propos pour les traducteurs appelés à traduire, ponctuellement ou régulièrement, des textes économiques et financiers de nature diverse.
Typologie de la langue économique et financière
Pour un débiteur sans le sou, toutes les ardoises sont des tuiles (André Billy)
Il suffit de lire quelques articles de presse pour s'apercevoir que la langue économique et financière est en même temps une langue « vivante », dotée d'une personnalité à part entière, et une langue très technique. Vivante, la langue économique l'est assurément, à l'image des expressions suivantes, extraites de l'article de Salim Jamal intitulé « Mécanisme de la terminologie économique et politique » [1] : « marché en pleine euphorie », « le marché joue au yo-yo », « le dollar se redresse, se relève, dégringole », autant d'expressions qui permettent une réelle personnification de l'économie. La presse économique est en effet un peu le théâtre d'une « sitcom », où les couples se font et se défont, engendrent des descendants, se fâchent puis se réconcilient. A propos de l'OPE de Carrefour sur Promodès, La Vie Financière a ainsi évoqué le « bal des prétendants « ; d'autres formules sont tout aussi symptomatiques de cette volonté d'humaniser l'économie : « le marché spécule sur un mariage d'amour », « une SSII belle à croquer », « la future mariée est de plus en plus belle », « le titre a tout pour séduire ». Cependant, les textes économiques regorgent également de termes techniques, qui en rendent la lecture très délicate pour le profane. En effet, si les journalistes économiques, qui s'adressent au plus grand nombre, ont une obligation de vulgarisation, ils ne peuvent faire état des derniers développements de l'économie sans avoir recours à une terminologie spécialisée et souvent opaque pour les non-initiés. Sous l'effet du développement fulgurant d'Internet et de la Bourse en ligne, un réel effort de communication a été consenti pour permettre au grand public de mieux comprendre les termes les plus courants de la langue économique. Il existe ainsi de nombreux sites Internet de vulgarisation qui permettent au « retail investor » (« petit investisseur ») de mieux appréhender les réalités du monde économique d'aujourd'hui. Le lecteur de textes économiques est donc moins démuni qu'hier mais il lui restera difficile d'en saisir toutes les subtilités s'il ne bénéficie pas d'une connaissance approfondie du domaine.
La langue économique et financière, parce qu'elle rend compte d'une réalité en constante évolution, est par ailleurs génératrice de nombreux néologismes : on entend ainsi parler depuis quelque temps déjà de la « nouvelle économie », de la « net économie », ou des « dot.com companies » (ou « sociétés point com »), ces sociétés qui bâtissent leur succès autour de la Toile. Dans certains cas, les journalistes économiques font également appel au bagage cognitif global du lecteur en détournant certains dictons ou certaines formules consacrées : « Quand Tibco Software va, Reuters va... », par exemple, est un clin d'œil manifeste à « Quand le bâtiment va, tout va « ; « Tout corps plongé dans le CAC40 subit une pression de bas en haut » doit beaucoup au théorème d'Archimède, etc.
Comme le note fort justement Gérard Ilg dans son article « Le traducteur de langue française à la tâche », « les économistes et les banquiers adorent filer les métaphores » [2]. La langue économique et financière emprunte en effet à de très nombreux registres et a ainsi largement recours au vocabulaire martial (percée sur le front du chômage, veillée d'armes, camper sur ses positions, retraite prudente des investisseurs, colmater les brèches), médical (rechute des cours, traitement de choc, marché en pleine convalescence), ou météorologique (avis de tempête sur les marchés, chute du baromètre, raz-de-marée, embellie/accalmie, etc). Les techniques ne sont pas en reste, le marché étant souvent assimilé à une voiture (tomber en panne, mécanisme grippé, tour de manivelle, courroie de transmission, remettre les gaz), pas plus que le domaine de la navigation (coup de tabac, perdre le nord, prendre l'eau, avoir le vent en poupe, maintenir le cap, lâcher du lest, maintenir à flot, régime de croisière).
Il est enfin à noter que la langue économique a également souvent recours aux jeux de mots : « Michel Bon reste fidèle à sa ligne » (M. Bon étant, au moment où paraît l'article dont cette phrase est extraite, le PDG de France Télécom), « La France a la cote à l'étranger » (par rapport à la cote d'un titre), « Il n'y a pas qu'à Komodo qu'on trouve des warrants » (extrait d'une publicité pour une société de Bourse en ligne, allusion étant faite au Dragon de Komodo, le plus grand des varans des îles de la Sonde).
Si la langue économique a jusqu'ici été étudiée par le biais de la presse économique, il ne faut pas pour autant oublier les autres textes qui y ont recours : citons notamment les rapports annuels des entreprises et des établissements de crédit, les rapports des sociétés de notation, les études économiques, les rapports et communiqués des différentes banques centrales, les documents émis par les banques d'affaires (rapports adressés par les gestionnaires de portefeuille à leurs clients, par exemple), etc. Les rédacteurs de ces documents, qui ne sont pour leur part tenus à aucune obligation de vulgarisation, privilégient un style plus académique, plus détaché ; il s'agit en effet pour eux de rendre compte de la manière la plus neutre possible de leurs études, de leurs analyses, ou plus généralement, de la conjoncture. Aucun écart ne leur est donc permis et si les articles de la presse économique peuvent encore « passer » auprès du grand public, grâce notamment aux efforts de personnification que nous avons évoqués plus haut, le non-initié éprouvera sans doute quelque difficulté à appréhender par exemple les rapports émis par la Banque centrale européenne ou les autres grandes institutions financières.
Les deux exemples qui suivent, extraits respectivement d'un communiqué de presse de la Banque centrale européenne (en date du 4 janvier 2000) et de la « Synthèse de l'enquête mensuelle de conjoncture » (février 2000) de la Banque de France, sont tout à fait symptomatiques, dans le premier cas, du haut niveau de technicité que peuvent avoir les textes institutionnels, et dans le deuxième cas, de la neutralité observée par le rédacteur :
« La BCE a décidé d'effectuer, le 5 janvier 2000, une opération de réglage fin de retrait de liquidités, qui sera réglée le même jour et dont l'échéance est fixée au 12 janvier 2000. Cette opération revêtira la forme de reprises de liquidités en blanc et sera exécutée par voie d'appel d'offres rapide à taux variable ».
Commentaire : on constate, dans ce passage, la présence de plusieurs termes techniques (dont « opération de réglage fin de retrait de liquidités »), dont le sens échappera sans doute au non-spécialiste.
« La demande globale s'est nettement raffermie. Sur le marché intérieur, le dynamisme du secteur automobile s'est accentué, tandis que les secteurs dépendant du bâtiment ont enregistré un surcroît de commandes, lié aux réparations des dommages causés par les intempéries de la fin de l'année 1999. À l'exportation, la bonne tenue des marchés européens et américains s'ajoute au redressement de la demande en provenance des pays d'Asie ».
Commentaire : dans cet article, où l'on constate l'absence de métaphores et de termes colorés, le rédacteur se contente de rapporter des faits incontestables, sans porter un quelconque jugement de valeur ni exprimer son avis.
Enfin, signalons qu'en matière économique, comme dans tous les domaines, le politiquement correct est actuellement de rigueur, comme le prouve l'expression « actionnaire individuel », censée remplacer l'ancien « petit porteur », jugé par d'aucuns quelque peu péjoratif (on aurait aussi pu citer « demandeur d'emploi » pour « chômeur », etc.).
Back office, small caps et autres start-ups...
Broker, cash-flow, swap, trader... Les textes économiques et financiers regorgent de termes directement empruntés à l'anglais désormais entrés dans l'usage. Ces emprunts, dont certains puristes contestent plus ou moins avec raison la légitimité, sont en effet légion, notamment dans la presse spécialisée. Le magazine La Vie Financière du 9 octobre 1999 fait la même constatation : « Au grand dam des défenseurs de la langue française, notre vocabulaire financier est envahi par les termes anglo-saxons, souvent par facilité, parfois par snobisme ». Dans certains cas, il s'agit de termes passés depuis un certain temps déjà non seulement dans la langue spécialisée, mais également, dans une certaine mesure, dans la langue courante (« marketing », par exemple). La domination des états-Unis sur la scène économique mondiale explique en fait en grande partie les défis terminologiques que doivent relever les professionnels français de l'économie et de la finance. La presse spécialisée constate elle-même régulièrement, d'une manière plus ou moins détournée, le retard pris par la France sur les états-Unis dans ce domaine, ce qui l'amène d'ailleurs parfois à proposer ses propres éclaircissements linguistiques : « Enfin ! Les fonds "no load" (littéralement "non chargés") débarquent en France. Aux états-Unis, ces produits sans droits d'entrée font fureur depuis longtemps ». [3] Devant le flot sans cesse grandissant de néologismes venus d'outre-Atlantique, l'état français a décidé, il y a quelques décennies de cela, de mettre en place des commissions interministérielles de terminologie chargées de trouver des traductions à ces termes souvent ressentis comme une menace à l'intégrité de la langue française ; c'est dans ce contexte qu'a été créée, en 1985, la commission de terminologie économique et financière rattachée au Ministère de l'économie et des Finances et présidée par Jacques Campet, conseiller maître à la Cour des comptes. Cette commission regroupe des membres des administrations économiques et financières, des personnalités du monde des entreprises privées ainsi que des chercheurs, des techniciens et des journalistes. Après examen en groupe spécialisé, la définition et l'équivalent de chaque terme nouveau désignant une réalité nouvelle sont débattus en séance plénière pour la mise au point d'un texte définitif. Les nouveaux termes sont présentés à titre consultatif à un groupe de journalistes économiques avant d'être soumis au Conseil international de la langue française, à la Délégation générale à la langue française et, enfin, à l'Académie française. C'est en dernier lieu au Ministre de l'économie lui-même qu'il revient de donner son feu vert à telle ou telle traduction, dont l'usage devient dès lors obligatoire dans les administrations et la fonction publique.
Malgré les efforts des terminologues de cette commission, force est de constater que dans de nombreux cas, les néologismes anglais n'attendent pas la création d'un équivalent français pour faire leur entrée en force sur les marchés et dans les médias. Ainsi, à la Bourse de Paris, personne n'oserait utiliser « écart » au lieu de « spread » ni « post-marché » pour « back-office ». Cette utilisation apparemment outrancière d'anglicismes est-elle pour autant assimilable à de la mauvaise volonté, ou à une certaine paresse linguistique ? Peut-être. Il faut en fait sans doute chercher un peu plus loin pour comprendre cet état de fait. Tout d'abord, il faut avoir conscience du rythme souvent frénétique avec lequel l'économie évolue, et qui explique en grande partie le pragmatisme dont ses acteurs font preuve lorsqu'il s'agit de communiquer. Ensuite, il ne faut pas oublier de resituer les choses dans un contexte plus global : en effet, si un réel effort est consenti au niveau de la France pour trouver des traductions aux néologismes anglo-saxons, il faut s'interroger sur l'intérêt d'une telle démarche dans le contexte des autres pays européens. Ainsi, dans un pays comme l'Italie, où « La souris de mon ordinateur » se dit « Il mouse del mio computer », le moins que l'on puisse dire est que la priorité n'est pas vraiment donnée à la créativité linguistique. Certes, cela n'excuse pas le recours souvent excessif, en France, aux anglicismes, mais les disparités qui existent entre les politiques linguistiques des différents pays peuvent expliquer, au moins en partie, le pragmatisme communicationnel dont font preuve les acteurs du monde économique et financier et leur propension à adopter, sans trop « se poser de questions », des termes et expressions émanant d'outre-Atlantique ou d'outre-Manche.
Quoi qu'il en soit, il est toujours intéressant de suivre en parallèle l'évolution d'un néologisme et de son équivalent formulé par la commission de terminologie économique et financière. On pourrait citer le cas, actuellement, du terme « start-up », dont la traduction française proposée par les linguistes du gouvernement, à savoir « jeune pousse (d'entreprise) », semble avoir quelque difficulté à s'imposer. « Fusionite » et « option sur titres », équivalents proposés respectivement pour « merger mania » et « stock options », constituent d'autres exemples sur lesquels il serait intéressant de se pencher. Ces considérations linguistiques, que certains n'hésiteront pas à qualifier d'atermoiements de puristes, semblent en tout cas à des années-lumière des préoccupations des marchés et des médias : ainsi, La Tribune du 10 mars 2000 n'hésite pas à titrer l'un de ses articles : « Quand la "customer value" le dispute à la "shareholder value" », ou à affirmer : « Les "small caps" doivent encore faire des efforts de communication ».
Par paresse ou par snobisme, les rédacteurs francophones ont en outre de plus en plus souvent recours au calque. L'exemple qui suit, extrait d'une brochure de présentation de fonds communs de placement (donc, destinée à un public assez large), contient ainsi pas moins de trois calques flagrants de termes anglo-saxons, qui permettent de se rendre compte de la grande influence exercée par la terminologie anglo-saxonne sur le rédacteur francophone :
« Au cours de la période considérée, les secteurs ayant le mieux performé sont les télécommunications et les services, relativement peu cycliques. [...] L'amélioration du sentiment en Europe de l'Est dépend essentiellement de la reprise des économies de l'Union européenne, allemande tout particulièrement. Si la reprise allemande anticipée au deuxième semestre 1999 se concrétise, la Hongrie bénéficiera de ses fondamentaux micro-économiques ».
Le premier terme est un calque évident de to perform, verbe qui peut pourtant se rendre de différentes façons en français. Sentiment s'inspire lui aussi directement du terme anglais présent notamment dans des collocations comme market sentiment, l'humeur ou l'état d'esprit des opérateurs. Enfin, les fondamentaux constituent une déformation de l'anglais fundamentals, terme qui désigne en fait les paramètres fondamentaux d'une valeur, d'un pays ou d'un marché.
Si, dans la plupart des cas, le rédacteur n'hésite pas à employer les calques tels quels, il prend parfois certaines précautions lorsqu'il estime que le calque envisagé n'est pas suffisamment familier. Ces précautions peuvent, comme dans la phrase qui suit (extraite du même texte que précédemment) prendre la forme de guillemets, lesquels peuvent légitimement être perçus comme la marque d'un certain manque de confiance du rédacteur dans sa formulation : « La Fed a décidé de donner un « biais restrictif » à sa politique monétaire ». Ici, biais restrictif, expression qui n'a pas grand-chose de français, s'inspire très vraisemblablement de restrictive bias, expression fréquemment utilisée par les rédacteurs anglophones que l'on doit plutôt rendre en français par orientation restrictive.
Il serait intéressant, pour clore cette rubrique, de s'arrêter un instant sur le néologisme « euroland », qui désigne depuis le 1er janvier 1999 l'ensemble constitué des onze premiers pays à avoir rempli les critères nécessaires à la mise en place, sur leur territoire, de la monnaie unique européenne. Ce terme a en effet suscité bon nombre de débats lors de son apparition : certains ont proposé de le « traduire » par « l'euroland » en français, tandis que d'autres ont suggéré « la zone euro », la commission de terminologie du Ministère des Finances préférant pour sa part « l'Eurolande » (!), terme repris notamment dans le dictionnaire Harrap's de la finance [4]. Si le caractère poétique d'« euroland » a certes de quoi séduire, ses détracteurs lui reprochent son côté « parc d'attractions » (il est vrai que le terme n'est pas sans rappeler Disneyland). Certains préfèrent donc parler de la « zone euro », expression plus technique qui, il est vrai, a le mérite d'être neutre. On constatera en tout cas dans la pratique que les deux termes sont utilisés (la « zone euro » ayant peut-être la préférence parmi les journalistes économiques), l'emploi de l'un ou de l'autre dépendant en fait en grande partie du type de texte et du lectorat visé.
L'articulation du texte anglais
Dans le domaine économique plus qu'ailleurs, le rédacteur anglophone est habituellement très friand des mots de liaison qui lui permettent d'articuler sa pensée ou de faire ressortir tel élément plutôt que tel autre : ces « connecteurs », dont « as » et « with » sont peut-être les plus fréquents, permettent d'illustrer une constatation ou une affirmation par exemple, ou d'indiquer les causes d'un événement, par le biais de la proposition relative qu'ils servent à introduire : par exemple, dans la phrase « Economic data continued to show robust economic activity, with fourth quarter GDP growth being revised up and productivity growing », « with » permet d'apporter une double illustration de la constatation faite en début de phrase. Dans « Mutual fund sales rose as demand from retail investors increased », la relative introduite par « as » permet de comprendre le pourquoi de la progression des fonds communs de placement. Dans « With the exception of Japan, most bond markets achieved positive returns in February as yields rallied », la fin de la phrase en explique le début ; traduction possible : « Sous l'effet de la reprise des rendements, tous les marchés obligataires ont enregistré des résultats positifs en février, exception faite du Japon ». Deux remarques à propos de cette traduction : on se rend compte que dans la traduction, ce n'est plus l'« exception japonaise » qui est mise en exergue, mais la reprise des rendements (il ne faut pas oublier l'effet que peut avoir ce type d'inversion sur le lecteur de la traduction ; voir aussi, à ce propos, la rubrique intitulée « La réorganisation du texte source »). Ensuite, on constate que « most bond markets » a été rendu par « tous les marchés obligataires », qui semble plus logique compte tenu de la précision qu'apporte « with the exception of Japan ».
Les mots de liaison, s'ils sont très concis et indispensables à l'articulation logique d'un texte, n'en restent pas moins très délicats à traduire. L'étoffement doit en effet souvent être assez poussé pour rendre la phrase vivante en français, ex. : « Mutual fund sales.. » traduit par « Les fonds communs de placement, de plus en plus prisés par les petits investisseurs, ont vu leurs ventes progresser ». Il faut en fait s'écarter le plus souvent de la phrase source pour pouvoir prendre du recul par rapport aux schémas traditionnels qui consistent soit à évoquer l'événement avant d'en indiquer la ou les causes (cf. « Mutual fund sales rose as demand from retail investors increased »), soit à préciser la ou les causes avant de parler de l'événement (« With a weakening Euro and an increase in producer price levels, the ECB tightened monetary policy »).
Lorsque des formes gérondives sont utilisées, lesquelles permettent d'éviter le recours à « as » ou « with » par exemple, il est tout aussi important d'en étoffer la traduction pour rendre le texte plus soutenu et moins lourd : on pourra ainsi traduire, par exemple, « Japan lagged, posting a small decline in February » par « Le marché japonais s'est laissé distancer, comme le prouve son léger fléchissement en février ».
Comprendre pour traduire
Isabelle Perrin, dans son ouvrage didactique L'anglais : comment traduire ? [5], fournit un exemple qui démontre toute la pertinence de l'affirmation « traduire, c'est avant tout comprendre « : Dans la phrase « The benchmark, longer-term rates have not yet dropped », il serait erroné de croire que « benchmark » est employé comme nom sujet du verbe « drop » et que « longer-term rates » n'est qu'une incise explicative car dans ce cas, l'auxiliaire « have » ne porterait pas la marque du pluriel et il y aurait une virgule après « rates ». (...) « Benchmark » est donc bien employé comme adjectif (et il faut lire) : « Les taux de référence à plus long terme n'ont pas encore baissé ». Cet exemple relativement basique montre néanmoins très bien que le traducteur ne peut s'accommoder d'une compréhension approximative du texte source pour le traduire.
Certains traducteurs, pressés d'en découdre et soucieux avant tout d'accroître leur chiffre d'affaires, oublient en effet trop souvent qu'avant de pouvoir traduire un texte, il faut d'abord le comprendre. La compréhension d'un texte, comme le remarque Marianne Lederer dans son ouvrage La traduction aujourd'hui [6], fait intervenir des connaissances aussi bien linguistiques qu'extra-linguistiques. Dans le cas du traducteur de textes économiques, comme dans celui de tout traducteur professionnel, les connaissances linguistiques sont théoriquement acquises avant même l'entrée dans la profession. Pour ce qui est du bagage extra-linguistique (connaissance du sujet, etc.), le traducteur économique et financier, comme nous allons le voir ci-dessous, bénéficie d'un atout particulièrement appréciable.
Le traducteur de textes économiques et financiers, contrairement à la plupart de ses collègues évoluant dans d'autres secteurs, a en effet la grande chance d'avoir affaire à un domaine qui colle parfaitement à l'actualité et pour lequel on dispose d'une documentation conséquente. Il existe en effet aujourd'hui une foison de journaux et de magazines spécialisés (notamment dans le domaine de la Bourse, pour lequel il existe à l'heure actuelle une très forte demande) auxquels le traducteur économique peut avoir recours pour approfondir tel ou tel sujet ou trouver des indices susceptibles de l'aider à comprendre le sens d'une phrase complexe. La télévision, française ou étrangère, et bien sûr, la radio, sont d'autres sources d'information très précieuses dans la caisse à outils du traducteur. Les nouveaux moyens de communication, comme Internet, constituent une troisième source d'information non négligeable sur laquelle ne pouvaient compter les traducteurs des années 1970 ou 1980.
De par la place privilégiée qu'il occupe dans la chaîne de l'information, le traducteur économique et financier d'aujourd'hui a donc toutes les armes en main pour livrer un travail de qualité : il ne lui est plus possible d'invoquer des « problèmes d'accès à l'information » pour excuser une prestation médiocre.
Il suffit, pour mieux se rendre compte de l'importance que peuvent prendre la presse spécialisée et plus généralement les médias dans le travail du traducteur, de prendre quelques exemples.
Ainsi, pour comprendre, dans « Sony is launching PlayStation II on March 4 », ce à quoi « PlayStation II » fait référence, le traducteur n'aura eu qu'à allumer la radio ou la télévision à l'heure du journal, le 4 mars, pour savoir qu'il s'agit d'une console de jeu. De la même façon, il est difficile de comprendre, et donc de traduire, « oil-induced increases in Consumer Price Index rates » si l'on ne sait pas que les cours du pétrole sont en train de flamber (cf. La Tribune du 25/02/00 : « La flambée des cours du pétrole continue de pousser l'indice des prix à la consommation à la hausse »). Le fait de se tenir au courant de l'actualité permet donc de « boucher les trous » et d'étoffer la traduction lorsque cela est nécessaire (voir exemple ci-dessus). Un autre exemple : l'expression « the ECB's inflation ceiling » (« le plafond de l'inflation (tel qu'il est) déterminé par la BCE ») pourra paraître curieuse à ceux qui ne connaissent pas les institutions financières européennes et le rôle qu'elles jouent.
Ces exemples montrent on ne peut mieux le caractère souvent elliptique de l'anglais économique ; on peut d'ailleurs remarquer à ce propos que plus le texte est ciblé et s'adresse à des spécialistes de la question traitée, plus il doit se lire « entre les lignes », sous peine d'erreur grossière de compréhension et donc, de traduction. « The loss of momentum in the OECD lead indicator », par exemple, ne veut pas dire « la perte de vitesse du principal indicateur de l'OCDE », qui n'aurait pas de sens, mais « la perte de vitesse dont fait état le principal indicateur de l'OCDE ». De la même façon, lorsque l'on trouve, dans des résultats financiers, la phrase « last year's production for the quarter was .. », il faut comprendre : « la production de l'année dernière, pour le même trimestre, s'élevait à .. ».
Comprendre pour simplifier
Il est souvent impératif de comprendre ce dont il s'agit pour pouvoir simplifier le texte original et obtenir une traduction fluide : ainsi, un traducteur qui connaît mal l'importance des taux d'intérêt des banques centrales pour les marchés traduira vraisemblablement « Markets appear confident that a sufficient level of future central bank interest rate rises has been reflected in current prices to ensure continued growth without inflationary pressures » de la manière suivante : « Les marchés ont, semble-t-il, déjà suffisamment tenu compte des futurs relèvements de taux d'intérêt par les banques centrales dans les prix actuels pour que la pérennité de la croissance soit assurée sans risque de tensions inflationnistes ». Un traducteur mieux informé dira sans doute : « Les marchés ont, semble-t-il, déjà suffisamment anticipé les futurs relèvements de taux d'intérêt par les banques centrales pour que la pérennité de la croissance soit assurée... ».
Une parfaite compréhension du texte original permet par ailleurs parfois de corriger des phrases mal construites dans la langue source. Ainsi, dans « It it unlikely that the Fed will tolerate the current level of economic growth and will push rates higher until the economy responds », il est évident que l'adjectif « unlikely » ne s'applique pas à « will push rates higher ». On pourra donc, à partir de cette constatation, envisager la traduction suivante, qui éclaircit le propos de départ : « Selon toute vraisemblance, la Fed, pour laquelle le niveau actuel de la croissance économique n'est guère acceptable, devrait procéder à de nouveaux relèvements de taux jusqu'à ce que l'économie montre des signes d'essoufflement ». La traduction de « respond » par « montrer des signes d'essoufflement », qui n'aurait pas été possible sans une certaine connaissance des rouages de l'économie, permet en outre au texte de gagner encore en précision. Prenons un autre exemple : pour traduire « While the US dollar should continue to perform well in the near term, Federal Reserve monetary policy action will impact the direction of the US dollar », phrase pour le moins maladroite (répétition de « US dollar », « direction » pour répondre à « near term »), il est évident qu'il faut prendre un peu de recul et notamment étoffer l'idée véhiculée par « direction » : « Si le dollar (américain) devrait, selon toute vraisemblance, continuer à bien se comporter dans les semaines à venir, son évolution à plus long terme dépendra pour sa part de l'inflexion que la Réserve fédérale décidera de donner à sa politique monétaire ».
Pour finir, rappelons qu'il ne faut jamais oublier de se poser la question : « que veut dire cette phrase ? », même lorsque le sens peut paraître évident à première vue. Il est en effet à constater que dans de nombreux cas, une trop grande correspondance avec le texte source peut donner lieu à une traduction lourde et artificielle. Ainsi, dans « While Oracle's Japan business is growing very rapidly, its valuation looks very stretched », il est indispensable de se demander ce que l'auteur entend par « stretched valuation ». C'est seulement après s'être posé cette question que l'on arrivera à une traduction logique, idiomatique et fluide à la lecture : « Si les activités japonaises d'Oracle connaissent actuellement un développement très rapide, le titre n'en semble pas moins fortement surévalué ».
La réorganisation du texte source
« La confiance des ménages en France, alimentée par la baisse ininterrompue du chômage, a pour la première fois atteint un niveau positif, ce qui laisse anticiper une poursuite de la forte progression de la consommation ».
(exemple d'une traduction à en perdre son latin...)
Si l'anglais privilégie généralement les phrases courtes, il ne faut pas hésiter, dans la traduction, à réorganiser le texte et à réunir des phrases au départ indépendantes, surtout si le texte original comporte des répétitions qui nuisent au style. Ex. : « They have recently won new business from Intel and Micron. We expect this business to grow rapidly, contributing to their earnings significantly ». Traduction possible : « La société a récemment signé de nouveaux contrats avec Intel et Micron, qui devraient rapidement lui ouvrir de nouvelles portes et lui permettre d'accroître ses bénéfices de manière significative ». Autre exemple : « However, Iran, Libya and Algeria began the week indicating a 2Q increase was not desired. However, following a meeting Wednesday between the Saudi and Iranian oil ministers, the Iranian press indicated that the market and price stability were a priority ». Dans ces deux phrases, la répétition de l'adverbe « however » est pour le moins maladroite, mais le problème peut être résolu en fusionnant les deux phrases de la manière suivante : « L'Iran, la Libye et l'Algérie ont toutefois déclaré, en début de semaine, qu'une augmentation de la production au cours du deuxième trimestre n'était pas souhaitable, ce qui n'a guère empêché la presse iranienne de préciser, après la réunion qui s'est tenue mercredi entre les ministres saoudien et iranien du pétrole, que la priorité était donnée au marché et à la stabilité des cours ».
Il est bien entendu toujours possible d'envisager la pratique inverse, autrement dit, le scindement d'une phrase longue ou lourde en deux phrases distinctes dans la traduction. Ce cas de figure se présente toutefois assez rarement, compte tenu du style relativement concis et succinct de l'anglais économique. Il est en effet assez rare de trouver dans ce genre de texte des phrases longues et alambiquées, qui sont habituellement l'apanage des juristes, ce malgré les principes définis par les défenseurs du « Plain English ».
Une autre technique qu'il est possible d'envisager dans le cadre de la réorganisation du texte source est celle de l'inversion. Dans certains cas, il est en effet souhaitable, pour des raisons de style notamment, de modifier, dans la traduction, la place qu'occupent certains éléments dans la phrase de départ. Plusieurs raisons peuvent motiver le recours à cette technique : a) la phrase originale se prête mal à une traduction linéaire compte tenu de sa construction : ex. « In November, the European central bank raised interest rates in response to strong global economic growth « ; traduction possible : « Compte tenu de la vigueur de la croissance économique mondiale, la Banque centrale européenne n'a eu d'autre choix que de relever ses taux d'intérêt en novembre « ; b) il peut s'avérer utile de mettre en avant tel élément de la phrase plutôt que tel autre, en faisant très attention bien entendu au propos du texte ; c) l'inversion peut permettre d'éviter un enchaînement maladroit entre deux phrases (en cas de répétition, notamment).
Il est enfin possible, dans certains cas, d'opérer ce que l'on pourrait appeler une traduction par « glissement syntaxique ». Dans la phrase suivante, par exemple : « While small capitalisation stocks lost some of their recent gains, their larger counterparts showed healthy performance », l'expression « small capitalisation stocks » est une contraction évidente de « the stocks issued by small capitalisation companies ». A partir de cette constatation, le traducteur va organiser sa traduction non plus autour de « stocks » mais à partir de « companies », qui est le sujet réel, bien que sous-entendu : « Si les sociétés à faible capitalisation ont vu leurs titres perdre une partie du terrain récemment conquis, leurs grandes sœurs ont su mieux tirer leur épingle du jeu, comme le prouvent leurs bonnes performances ».
L'intérêt des métonymies dans la traduction économique et financière
La métonymie, processus linguistique fondé sur le rapprochement mental qu'opère l'utilisateur d'une langue entre deux objets ou phénomènes par association d'idées (l'expression « boire un verre », par exemple, constitue une métonymie en ce sens que l'on fait passer le contenant pour le contenu), est une arme précieuse dans l'arsenal syntaxique du traducteur de textes économiques et financiers. Cette technique va en effet lui permettre, dans certains cas, d'utiliser une figure de style pour désigner un pays, une monnaie, etc., dont il ne souhaite pas, pour une raison ou pour une autre, utiliser le nom usuel.
Le traducteur utilisera en fait surtout cette technique pour éviter les répétitions (présentes dans le texte source) dans sa traduction. Ainsi, dans « The US dollar should continue to perform well as the domestic economy is robust. However, Federal Reserve action to tighten monetary policy will impact the direction of the US dollar », la répétition de « US dollar » n'est pas très heureuse et le traducteur aura tout intérêt à l'éliminer dans le texte cible. C'est en utilisant « le billet vert », métonymie connue de tous qui met l'accent sur la caractéristique la plus évidente du dollar comme objet, qu'il y parviendra : « Le dollar américain devrait continuer à bien se comporter compte tenu du dynamisme de l'économie nationale. L'évolution à plus long terme du billet vert dépendra toutefois du tour de vis que la Réserve fédérale décidera ou non de donner à sa politique monétaire ». De la même façon, et pour rester dans les monnaies, le traducteur pourra préférer la « monnaie unique » à « l'euro » en cas de risque de répétition de ce dernier terme (la presse spécialisée n'hésite pas elle-même parfois à évoquer « la monnaie de Sa Majesté » en parlant de la livre sterling).
Outre les monnaies, les pays et les régions font eux aussi l'objet d'appellations « alternatives » qui sont bien utiles au traducteur, à condition toutefois que leur utilisation soit entourée de certaines précautions. Dans un texte concernant la situation économique du Japon, par exemple, on pourra éventuellement évoquer « le pays du Soleil levant » ou « l'Archipel » pour ne pas trop se répéter. Pour éviter de trop parler de l'Europe, on pourra employer « le Vieux Continent ». En parlant des états-Unis, on pourra utiliser « l'Oncle Sam », à condition, bien entendu, que l'esprit du texte s'y prête et que son style soit suffisamment familier. Il ne faut en effet pas oublier la coloration que peuvent prendre ces figures de style et les connotations qui s'y rattachent parfois. La « perfide Albion », par exemple, expression dans laquelle chacun reconnaît l'Angleterre, est une métonymie dont la connotation péjorative et/ou humoristique justifie que son emploi soit reservé à une catégorie bien particulière de textes.
Les métonymies, si elles constituent donc un outil très utile pour le traducteur, devront ainsi être utilisées avec un certain discernement, sans jamais perdre de vue le contexte. Si les expressions évoquées ci-dessus concernent des pays ou des monnaies, il ne faut pas pour autant oublier celles qui existent dans le domaine de la politique, de l'administration, de la publicité, etc. Salim Jamal [7] cite ainsi notamment « La Maison Blanche » ou « Washington » pour le gouvernement américain, le « Quai d'Orsay » pour le Ministère des affaires étrangères, « Matignon » pour le Palais du Premier Ministre, liste à laquelle on pourrait ajouter « Bercy », en référence au Ministère de l'économie et des Finances. Les mêmes expressions (cf. « the White House »), ou des expressions de même nature, existent bien sûr en anglais, à l'image de « the Old Lady of Threadneedle Street », métonymie qui renvoie non sans un certain humour à la Banque d'Angleterre. Avant de traduire les métonymies anglaises, il faudra d'abord s'interroger sur leur degré de popularité parmi le lectorat-cible. En effet, l'expression « la vieille dame de Threadneedle Street », par exemple, est sans doute moins connue que « le billet vert », ce qui justifiera qu'on la remplace par « la Banque d'Angleterre », le référent direct, compréhensible de tous, sauf, bien sûr, s'il s'agit de traduire un article de presse qui contient les deux appellations. Dans tous les cas, il faudra éviter d'employer une métonymie si l'on n'a pas, au préalable, eu recours au moins une fois au nom usuel auquel elle se substitue (voir plus haut l'utilité des métonymies en cas de répétition). Ce principe trouve notamment son application dans la presse spécialisée, où les rédacteurs prennent toujours soin de poser des « jalons » avant d'employer une tournure imagée : « La forme olympique de la livre, qui (...) ne laisse pas la Banque d'Angleterre indifférente, s'explique par le renouveau des anticipations de durcissement monétaire (...). La vieille dame de Threadneedle Street, qui a déjà relevé ses taux à quatre reprises depuis septembre, pourrait donner un nouveau tour de vis dès son conseil mensuel de début mai... » (La Tribune du 26 avril 2000).
L'importance des collocations
Comme toute langue spécialisée, la langue économique et financière est faite de collocations et de cooccurrences. On dira ainsi de la croissance qu'elle est vigoureuse (robust), ou anémique (sluggish), de tel ou tel marché qu'il est dynamique (ou qu'il fait preuve de vigueur), ou morose (ou maussade), etc. Si une monnaie spécifique, après une période difficile, amorce un redressement, on devra parler de son « raffermissement ». Après ce « raffermissement », la monnaie en question bénéficiera d'une certaine « fermeté », ou « bonne tenue ». La connaissance des cooccurrences et des expressions figées est indispensable pour le traducteur, qui ne pourra, s'il maîtrise mal ces manifestations linguistiques, produire un texte fluide et crédible dans la langue d'arrivée. Si, dans certains cas, la traduction de telle ou telle collocation ne laisse guère de doute, le traducteur rencontrera également souvent des termes passe-partout qui appelleront une collocation très précise dans le texte d'arrivée : l'adjectif « sluggish », par exemple, correspondra à « déprimé » ou « morose » si l'on parle du marché, à « peu soutenue » s'il s'agit de qualifier la demande, à « anémique » si l'on parle de la croissance, etc. De la même façon, la traduction de « strength » ne sera pas la même selon que l'on parle de la reprise économique (« vigueur »), des exportations (« dynamisme »), ou encore, d'une monnaie (« fermeté » ou « bonne tenue »). « Slump » pourra être rendu, selon le contexte, par « crise », « effondrement » (des marchés), « marasme », « dépression conjoncturelle », etc.
L'importance prise, dans les textes économiques, par les collocations et les cooccurrences n'a pas échappé aux nombreux praticiens qui se sont penchés sur la question. Ainsi, Gérard Ilg, Chef-interprète de la BRI, dans son article « Le traducteur de langue française à la tâche » [8], remarque : « Le traducteur de textes économiques et financiers a besoin, beaucoup plus que de lexiques, de recueils phraséologiques. Pour lui, ce sont avant tout les collocations, les cooccurrences qui comptent ».
Il est vrai que le traducteur économique ne pourra se satisfaire de simples lexiques ou glossaires terme à terme : il devra nécessairement acquérir une connaissance approfondie des cooccurrences, que Gérard Ilg appelle d'ailleurs « blocs de sens », connaissance qui passera notamment par la lecture régulière de la presse spécialisée, riche en expressions idiomatiques et en collocations. Le traducteur devra prêter une attention toute particulière aux collocations construites autour des termes les plus présents dans les textes économiques, comme « marché » par exemple, terme pour lequel il existe de nombreux « blocs de sens » (dynamisme du marché, marasme du marché, marché bien orienté, marché orienté à la baisse, l'euphorie du marché, etc.). Le traducteur pourra également dresser une liste de ce que l'on peut appeler le « vocabulaire baromètre », autrement dit des termes et expressions utilisés pour faire état des hausses et des baisses observées sur les marchés, dont ils constituent le lot quotidien (cf. fléchissement, recul, repli, chute libre, effondrement, implosion, progression, flambée, montée en flèche, etc.). Une bonne maîtrise de ce vocabulaire lui permettra, dans certains cas, de conserver les images et les métaphores présentes dans le texte original : « The sky-high valuations of technology companies seem finally to be coming down to earth « : « Après les cours astronomiques de ces dernières semaines, il semblerait que les valeurs technologiques redescendent enfin sur terre ».
Une bonne connaissance des collocations et cooccurrences permettra enfin d'éviter les écueils que représentent les faux amis : « debt restructuring », par exemple, appelle « rééchelonnement de la dette » plutôt que « restructuration de la dette », « banking institutions » sera rendu par « établissements bancaires » plutôt que par « institutions bancaires », « tax evasion » par « fraude fiscale » et non par « évasion fiscale », etc.
Notons, pour terminer, que les institutions nationales insistent elles-mêmes sur l'importance des cooccurrences et sur la précision que doivent observer les rédacteurs de documents officiels. Ainsi, la brochure « écrire pour être compris » [9], destinée aux fonctionnaires du Ministère de l'économie et des Finances, conseille d'éviter les verbes passe-partout (comme « faire » et « être ») et préconise l'utilisation d'expressions comme « exercer un droit », « dresser une liste », « délivrer un certificat » et « figurer sur une liste » en lieu et place, respectivement, de « faire usage d'un droit », « faire une liste », « faire un certificat » et « être sur une liste ».
La traduction des termes « passe-partout »
Au fur et à mesure des traductions qu'il sera appelé à effectuer, le traducteur s'apercevra de la présence récurrente, dans les textes économiques et financiers, de certains termes dont il est difficile à prime abord de saisir le sens exact. « Universe », « environment », « scenario », « outlook » ou encore « sentiment » font partie de ces termes qui sèment toujours le doute dans l'esprit du traducteur, qui n'en perçoit pas nécessairement toute la portée. Dans « the global emerging markets universe », par exemple, le terme « universe » désigne tous les marchés mondiaux qui font partie de la catégorie des marchés émergents (pays d'Amérique latine, par exemple). Il n'est bien entendu pas indispensable, dans ce cas précis, ni même conseillé, d'utiliser en français le terme d'« univers ». Le terme « environment », à l'image de « universe », fait également assez souvent office de « bouche-trou » et peut disparaître lors de la traduction : « The market has benefited from a strengthening earnings environment « : « Le marché a bénéficié de l'orientation à la hausse des bénéfices » (on aurait très bien pu dire, en anglais, « the market has benefited from strengthening earnings », sans rien perdre du sens, ce qui souligne le caractère accessoire du terme « environment »).
Si le terme « outlook » correspond le plus souvent au français « perspective(s) » (ou « conjoncture »), sa mise en contexte déterminera sa traduction ou non par ce terme, comme en attestent les exemples qui suivent : « The short-term outlook is gloomy » : « Les perspectives à court terme sont peu encourageantes « ; « A cautious outlook and expectations of higher rates led investors to take profit « : « Les investisseurs, rendus prudents par l'évolution du marché et la perspective d'une hausse des taux, ont procédé à des prises de bénéfices « ; « Our outlook for global bond markets remains cautious « : « Nous restons prudents vis-à-vis des marchés obligataires mondiaux », etc.
Quant au terme « sentiment », que l'on peut rendre par « l'état d'esprit » (du marché, des opérateurs, des milieux d'affaires) ou le « climat » (qui prévaut sur le marché), sa traduction dépendra souvent de l'adjectif qui le qualifie : « bullish sentiment « : « optimisme », « bearish ou negative sentiment « : « pessimisme », « rebounding industrial sentiment « : « regain d'optimisme dans les milieux industriels » , etc.
Dans d'autres cas, le traducteur aura à traiter des termes beaucoup plus concrets qui nécessitent une certaine déverbalisation et un réel effort de réexpression dans la langue d'arrivée. On ne saurait par exemple lui pardonner l'emploi de barbarismes comme « impacter les bénéfices » ou « tirer le marché », pourtant très prisés des professionnels. Dans un domaine où tout n'est que performance, un exemple particulièrement intéressant est celui que constituent les termes « outperform »/« underperform ». Si certains financiers ou journalistes peu scrupuleux n'hésitent pas à dire de telle ou telle action qu'elle devrait « surperformer » ses adversaires (sic), il sera le plus souvent demandé au traducteur d'adopter une démarche plus responsable et surtout, plus respectueuse des sensibilités du lecteur cible. Il serait d'autant plus dommage d'avoir recours à des calques aussi grossiers qu'il existe en français de multiples façons de rendre l'idée que véhiculent ces termes. « To outperform », par exemple, pourra ainsi donner lieu à des traductions très variées : « Japan outperformed most other Pacific Rim markets in February « : « Le Japon a distancé la plupart des autres marchés du bassin Pacifique en février « ; « Mitsubishi Chemical outperformed its sector « : « Mitsubishi Chemical a réalisé des performances supérieures à celles de son secteur », etc. Quant au terme de « underperformance », qui rend compte de la réalité inverse, on pourra le traduire par exemple par « contre-performance », qui rend bien l'idée de résultat anormalement faible pour une société ou un titre habituellement compétitif.
D'autre part, dans le domaine économique, comme dans le domaine juridique, certains termes de la langue courante sont utilisés avec un sens bien particulier. Prenons deux exemples, « consensus » et « exposure ». Si « consensus » désigne, dans la langue courante, un accord rassemblant le plus grand nombre, le sens pris par ce terme dans le langage financier est tout autre : il s'agit en effet de la moyenne des opinions d'un échantillon plus ou moins large d'analystes sur les perspectives bénéficiaires d'une société, on parle alors de consensus de valeur, ou d'un ensemble de sociétés situées dans le même marché boursier, auquel cas il est question de consensus de marché (exemple tiré d'un texte rédigé par des gestionnaires de portefeuille : « We use our equity research as a reference point to compare our analysis against that of the consensus »).
Le cas d'« exposure » est un peu plus compliqué. En effet, si dans la langue courante, ce terme peut se traduire par « exposition » (au soleil, par exemple) ou par « diffusion » (faite d'un événement dans les médias), les sens qu'il prend dans la langue financière peuvent poser problème ; en effet, dans ce contexte, « exposure » peut garder le sens d'« exposition » (à un risque) ou de « vulnérabilité », mais peut aussi avoir les significations suivantes : risque(s) encouru(s), position à risque ; avoirs, engagements (d'une banque) ; actifs, participation, investissements. « Equity exposure » signifie donc « avoirs en actions », « off-balance sheet exposure » correspond à « risques ou engagements hors bilan » et « our heavy exposure in the US market » à « notre présence importante sur le marché américain ».
Ces quelques exemples suffisent à montrer les risques auxquels s'expose tout traducteur qui ne serait pas suffisamment conscient du ou des sens spécifiques que prennent certains termes courants dans le contexte économique et financier.
Il peut s'avérer utile, pour finir, de dire un mot des termes dont la traduction varie selon que l'on se place dans le contexte du langage courant ou dans celui des textes économiques, sans qu'il y ait pour autant de réelle différence au niveau du contenu sémantique (comme c'est le cas pour les termes abordés ci-dessus). Ainsi, si le terme « price », dans le langage courant, se traduira toujours par « prix », il devra souvent, dans les textes économiques, être traduit par « cours », notamment s'il s'agit de rendre compte des fluctuations de la Bourse (cf. « les cours du pétrole » et non « les prix du pétrole »). De même, si le terme « year », dans la langue courante, se traduira par « année », on devra, s'il s'agit de traduire par exemple les résultats financiers d'une entreprise, parler d'« exercice ».
Traduire les adjectifs par des substantifs
L'une des techniques les plus employées par les traducteurs de textes économiques et financiers consiste à traduire les adjectifs présents dans le texte-source par des substantifs. Cette technique, largement employée dans l'ensemble des domaines de traduction, s'avère en effet très souvent indispensable pour rendre le texte traduit plus équilibré et plus naturel.
Prenons à titre d'exemple la phrase suivante : « The European Central Bank tightened its monetary policy in response to strong global growth », et sa traduction : « La Banque centrale européenne a durci sa politique monétaire afin de contenir la vigueur de la croissance mondiale ». On constate que, dans la traduction, « strong » est devenu « vigueur », autrement dit qu'un adjectif a été rendu par un substantif, ce qui rend le texte français plus lisible et plus naturel. Dans « Buoyant consumer confidence and improving employment prospects suggest that robust economic growth will continue throughout Europe », il est évident que les termes « improving » et « robust » appellent autre chose que leur simple équivalent français. Seule une traduction substantivée et relativement étoffée (ex. : « La grande confiance affichée par les consommateurs et l'amélioration des perspectives en matière d'emploi donnent à penser que la croissance économique va se poursuivre avec la même vigueur dans toute l'Europe ») peut permettre de rendre le message original de manière fidèle et relativement fluide.
Cette technique de traduction présente de multiples avantages non seulement quand le texte source comporte une succession d'adjectifs (comme c'est le cas ci-dessus), mais également lorsque l'on est en présence d'une forme comparative ; « higher interest rates » peut ainsi être rendu par « (la, une) hausse des taux d'intérêt ». De la même manière, il serait difficile d'imaginer que la phrase « A stronger German economy should support the Euro » puisse être traduite autrement que par « L'euro devrait bénéficier du rétablissement de l'économie allemande » ou « Le rétablissement de l'économie allemande devrait profiter à l'euro ».
Il est à signaler que la technique de la substantivation est largement illustrée dans le « Glossaire économique et financier » [10] de Marcel Wieser, qui en fournit de nombreux exemples : « buoyant equity markets » y est par exemple rendu par « dynamisme des marchés boursiers », « slack demand » par « marasme de la demande », « sluggish investment activity " par « stagnation de l'activité d'investissement », etc.
Problèmes liés à la polysémie de certains termes
Le traducteur économique et financier, tout comme ses collègues évoluant dans d'autres domaines, est souvent confronté à des problèmes de polysémie. Parmi les cas de polysémie les plus connus en traduction économique, citons :
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« Stock » : outre ses acceptions courantes (stock, marchandises, provisions), ce terme a très souvent, en anglais économique, le sens d'« action(s) » (ainsi, « stock market » correspond à « marché d'actions »).
- « Equity » : si ce terme correspond le plus souvent à « actions », « titres » ou « valeurs », il n'en va pas toujours ainsi ; dans la phrase suivante, par exemple : « Foreign investors' equity inflows have moderated », le terme est à prendre dans le sens de « capital », et non d'« actions ».
- « To discount » : outre les sens techniques qu'il peut prendre (« accorder une remise sur », « escompter »), ce terme peut aussi signifier « ne pas tenir compte de », ou, au contraire, « anticiper », comme dans l'exemple qui suit : « Since few economies have shown signs of a slowdown, markets began to discount a tighter monetary policy everywhere except Japan « : « Au vu de la situation de la plupart des économies, qui ne montrent guère de signes de ralentissement, les marchés ont déjà commencé, partout dans le monde, à anticiper un durcissement des politiques monétaires, sauf au Japon ».
- « Inventory » : ce terme, s'il appelle souvent « inventaire », peut aussi avoir le sens de « stock(s) « ; dans « API data brought very bullish news on Tuesday, reflecting a sharp drop in crude inventories », par exemple, phrase tiré d'un texte sur les marchés pétroliers, le groupe nominal qui termine la phrase correspond à « une forte baisse des stocks de brut ».
- « To bottom out », autre verbe à manipuler avec précaution, présente deux acceptions sensiblement différentes : il peut en effet signifier tour à tour « atteindre le creux de la vague/son niveau le plus bas », ou « se mettre à remonter ».
Références :
[1] Salim Jamal, Mécanisme de la terminologie économique et politique, Traduire N°172, 2/97, p. 33.
[2] Gérard Ilg, Le traducteur de langue française à la tâche, Parallèles N°16, 1994, p 79.
[3] La Tribune Placements, 24 mars 2000.
[4] Dictionnaire Harrap's de la finance, 2000, p. 57.
[5] Isabelle Perrin, L'anglais : comment traduire ?, Hachette, 1996, p. 78.
[6] Marianne Lederer, La traduction aujourd'hui, Hachette, 1994, p. 39.
[7] Salim Jamal, op. cit., p. 34.
[8] Gérard Ilg, op. cit., p. 80.
[9] écrire pour être compris, brochure du Ministère de l'économie et des Finances, 3e édition, 1995, p.10.
[10] Marcel Wieser, Glossaire économique et financier, 1993.
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