Abstract
The text, entitled "Saisir les subtilités qui existent entre l'anglais et le français ? Une question de temps..." focuses on a number of linguistic and "metalinguistic" issues which translation students and beginners in translation should bear in mind when translating from English into French or vice versa.
It seems that most translation courses nowadays seem to focus primarily on translation techniques as such and take little or no account of linguistic "gaps," hypernyms and hyponyms, ellipsis and other linguistic facts which are at least as important for the translator as technique itself. Focusing on the word "time" and its derivatives and their French equivalents, this text dwells on some of the theories developed by Vinay and Darbelnet in their seminal work Stylistique comparée du français et de l'anglais, and is a reminder of the fact that in translation as in any other field, there is always more than meets the eye
tudier une langue sans prendre en compte la culture qui la sous-tend constitue une aberration que nul ne peut nier. Or, force est de constater que dans les cours de langue donnés dans les écoles ou en université, la dimension culturelle est souvent escamotée au profit d'analyses purement linguistiques que l'on présente souvent à tort comme étant la seule clé susceptible de permettre une bonne compréhension des langues. Passer sous silence ce que les linguistes désignent souvent sous le nom de « métalinguistique », autrement dit, nier les rapports qui existent entre les faits culturels et sociaux et les structures linguistiques, constitue une grave erreur que certains, pourtant, ont tendance, délibérément ou non, à perpétuer.
Les premiers à s'être penchés sur la question des différences stylistiques qui existent entre le français et l'anglais, et sur celle de l'importance de la dimension culturelle dans l'étude des rapports linguistiques, sont J.P. Vinay et J. Darbelnet. Dans leur ouvrage Stylistique comparée du français et de l'anglais (Didier, 1958, revu et corrigé en 1977), ces deux linguistes apportent la preuve, exemples à l'appui, que langue et culture sont intimement liées. Pour eux, « un rapport existe entre le monde extérieur tel que nous le concevons et la forme linguistique de nos pensées, de notre culture ». Pour développer leurs arguments, les auteurs s'appuient notamment sur le concept évoqué plus haut de « métalinguistique », qu'ils définissent comme étant « l'ensemble des rapports qui unissent les faits sociaux, culturels et psychologiques aux structures linguistiques ». De nombreux autres auteurs, dont Eugene Nida par exemple, se sont penchés sur la question des rapports qui unissent langue et culture, sans toujours partager le même point de vue, comme en témoignent ces quelques lignes extraites de La traduction aujourd'hui, de Marianne Lederer (Hachette, 1994, p. 122) : « Observant que chaque langue découpe le monde à sa manière, ce qui est exact, on a conclu, ce qui est faux, que chaque langue impose une vision du monde particulière à ceux qui la parlent (c'est la fameuse hypothèse Sapir-Whorf). »
Certains seront d'accord avec cette affirmation, d'autres pas. Notre propos ici n'est bien entendu pas de départager les deux camps, mais plutôt de s'interroger, comme l'ont fait, dès le début des années 1950, J.P. Vinay et J. Darbelnet sur les différences stylistiques qui opposent le français et l'anglais. Pour ce faire, arrêtons-nous un instant sur l'exemple du mot anglais time, dont les facettes multiples constituent un terrain particulièrement propice à l'étude des subtilités qui font de l'anglais et du français des langues en même temps si proches et si différentes.
Tout d'abord, le mot time constitue une preuve évidente des différences qui existent entre l'anglais et le français lorsqu'il s'agit de « découper » la réalité. Là où l'anglais propose trois termes différents en fonction du « temps » dont il est question, time pour désigner le temps qui passe, weather pour le temps qu'il fait, et tense pour évoquer le temps grammatical, le français ne fait pas de différence et se contente du terme générique « temps ». La même constatation pourrait être faite à partir du terme français « maladie », qui devient en anglais sickness, illness, ou disease selon le type de maladie et selon sa nature, chronique ou passagère.
Time est en fait un terme à caractère hyperonymique, dont les dictionnaires bilingues éprouvent bien des difficultés à cerner le sens exact : « temps, délai, période, durée, laps de temps ; intervalle », sont quelques-unes des traductions que propose le Guide anglais-français de la traduction de René Meertens. D'autres ouvrages, tel le Dictionnaire anglais-français Robert & Collins, ajoutent à cette liste d'autres traductions comme « moment », « heure », ou « fois ». Les nombreuses expressions et locutions construites autour de time, que l'on retrouve dans ces dictionnaires et dans les autres, permettent de constater le décalage évident qui existe entre la vision de l'anglais et celle du français. Il suffit de citer des expressions comme to play for time (« chercher à gagner du temps », « jouer la montre »), to have the time of one's life (« s'amuser comme un fou »), time will tell (« l'avenir le dira »), ou encore to die before one's time (« mourir avant l'âge ») pour se rendre compte que l'anglais et le français ne se situent pas sur le même niveau et pour constater qu'à une expression idiomatique dans une langue correspond une autre expression dans l'autre langue. Les cas où la vision de la réalité est équivalente ou quasi-équivalente restent rares et lorsque cela semble être le cas, ex. time is on my side : « le temps est de mon côté », une réflexion plus poussée permet de se rendre compte que l'on a traduit un peu vite l'expression anglaise et que l'on a oublié ce qu'un locuteur français dirait le plus spontanément (« le temps joue pour moi »).
Signalons par ailleurs que time est souvent mis au pluriel, auquel cas il sera traduit, selon le contexte, par « le temps » ou « les temps » : times are hard : « les temps sont durs », mais to keep abreast of the times : « vivre avec son temps ».
Il est particulièrement important de remarquer que time, comme bon nombre de substantifs en anglais, est souvent utilisé en position de nom adjectivé, et c'est donc le plus souvent le cooccurrent associé au mot qui va en déterminer la traduction la plus appropriée : ainsi, time bomb sera rendu par « bombe à retardement », time loan par « prêt à terme », time travel par « voyage dans le temps », time trial par « course contre la montre », et time zone par « fuseau horaire ». Dans les deux premiers cas, on constate que time est rendu par un terme plus précis en français : la traduction se fait donc par « particularisation » ou « hyponymisation ».
Ces quelques exemples permettent aussi de se rendre compte de la préférence que semble avoir l'anglais pour le concret : time zone apparaît par exemple nettement plus concret que « fuseau horaire », son équivalent français, manifestement plus « technique ». En effet, l'anglais se place généralement sur le plan du réel tandis que le français se situe pour sa part sur le plan de l'entendement, ou de l'abstrait. J.P. Vinay et J. Darbelnet ne disent pas autre chose : « D'une façon générale, les mots français se situent généralement à un niveau d'abstraction supérieur à celui des mots anglais correspondants. Ils s'embarrassent moins des détails de la réalité ». Marina Yaguello, dans son article La place des anglicismes dans la langue (in Tu parles !? Le français dans tous ses états, collectif, Flammarion, 2000, p. 356), fait la même constatation à propos de la langue de Shakespeare : « Les ressources de la métaphore et de la métonymie prennent le pas sur les formations savantes (pain killer par exemple pour antalgique). D'où un lexique fondamentalement imagé, concret et dépourvu d'opacité. »
Les composés construits autour de time permettent aussi de constater l'extrême concision qui caractérise souvent l'anglais par rapport au français : time pressure, par exemple devient « nécessité d'agir à bref délai » (Guide anglais-français de la traduction, op. cit.). Time machine (cf. le célèbre roman de H.G. Wells) devient en français « machine à remonter le temps » (Robert & Collins) ou « machine à explorer le temps » (Oxford Hachette French Dictionary). Autre exemple, l'adjectif time-saving, qui fait partie des composés dont l'anglais raffole, ne peut se traduire autrement que par une relative : « qui permet de gagner du temps », ou, pour respecter la prédominance du substantif en français, « qui permet un gain de temps » (et que dire de time-saver, le substantif correspondant ?). Il en résulte, comme on peut le constater, une dilution importante en français, langue qui a souvent besoin de davantage de mots pour faire état de la même réalité. Dans certains cas, c'est toutefois l'inverse qui se produit et c'est alors le français qui fait preuve d'économie, pour preuve : time clock : « pointeuse », time switch : « minuteur », ou encore, time-lag : « décalage (dans le temps) ».
À un autre niveau, il convient de remarquer que l'explicite et l'implicite n'occupent pas la même place dans les deux langues : là où l'anglais va dire within two weeks, par exemple, le français va avoir tendance à préciser « dans un délai de deux semaines », explicitant ainsi un mot, within, qui fait défaut dans cette langue (les Belges francophones sont parvenus à combler cette lacune en utilisant le terme « endéans », lequel a le mérite de correspondre étroitement à within pris dans un sens temporel). En revanche, l'expression française « dans trois semaines » sera nécessairement étoffée en anglais, où elle deviendra in three weeks' time.
De la même façon, il est intéressant de constater que certains termes existent dans une langue et pas dans l'autre : « délai », par exemple, n'existe pas en tant que tel en anglais. Certes, les expressions time limit et time scale figurent dans les dictionnaires, mais sont bien moins courantes que deadline, vocable qui désigne toutefois spécifiquement l'expiration d'un délai. Une fois encore, c'est time, l'hyperonyme de « secours », qui intervient pour combler la lacune laissée par la langue : ainsi, on traduira within the time agreed upon par « dans les délais convenus ». Curieusement, le français, langue qui manie avec dextérité le « délai », ne dispose pas d'un terme aussi concret et compact que deadline pour en désigner l'expiration. Là encore, la particularisation est nécessaire pour rendre l'original anglais : « date-butoir » et « date/heure limite » en constituent les traductions les plus courantes, l'anglicisme deadline étant réservé aux cercles « branchés ».
Dans le sens anglais-français, il est difficile de ne pas citer le dérivé timing, lequel a donné et continue de donner bien des sueurs froides aux traducteurs francophones, qui éprouvent souvent des difficultés à traduire ce terme, qui ne trouve pas d'équivalent exact en français. Le Guide anglais-français de la traduction en propose les traductions suivantes : « choix/détermination du (bon) moment, moment (choisi), date (retenue) ; échelonnement, planification, [...], calendrier... », et donne notamment la phrase suivante comme exemple de mise en contexte : « The government lost the elections because of poor timing » : « Le gouvernement a perdu les élections parce qu'il a convoqué les électeurs aux urnes à un moment défavorable ». On constate ici que le français est contraint de passer par une longue périphrase pour exprimer une réalité que l'anglais parvient à décrire en un seul mot. Il ne faut pas pour autant oublier le statut d'emprunt qui est reconnu à timing en français et qu'entérine notamment le Dictionnaire Larousse des anglicismes en ces termes . « Timing : action d'établir un emploi du temps ; prévision des temps correspondant aux diverses phases d'exécution d'une tâche ». Force est toutefois de reconnaître que l'emprunt timing relève de la langue courante et ne peut que rarement s'employer en l'état dans les textes traduits en situation professionnelle. Citons, pour finir, l'hyperonyme timepiece, qui est le « nom générique des appareils servant à indiquer l'heure » (Le Grand Dictionnaire Terminologique). Ce terme, qui regroupe les montres, les pendules, les horloges, les chronomètres, etc. fait manifestement défaut en français, où il doit nécessairement être traduit par un mot plus précis (donc, par hyponymisation) : pour s'en convaincre, il suffit de consulter l'entrée correspondante du Robert & Collins : « timepiece : (= watch) montre, (= clock) horloge ».
Les quelques exemples données ci-dessus en disent long sur le fossé qui séparent l'anglais et le français, langues pour lesquelles le découpage de la réalité n'est de toute évidence pas le même. On a vu plus haut certains des principaux domaines dans lesquels les différences sont les plus flagrantes, mais il ne faut pas pour autant oublier les autres plans sur lesquels l'anglais et le français divergent.
L'anglais est ainsi connu pour son goût prononcé pour l'understatement, un concept si typiquement britannique que le terme n'a jamais trouvé de réel équivalent en français. Parmi les euphémismes dont l'anglais s'est fait une spécialité, citons par exemple l'expression argotique to do time, qui signifie « faire de la prison », « purger une peine de prison ». On admirera ici la manière dont l'anglais est parvenu à déguiser une réalité qu'il peut sembler difficile d'appeler par son nom.
Les exemples proposés permettent par ailleurs de constater que dans la plupart des cas, les constats établis sont valables dans les deux sens (des lacunes lexicales, nous l'avons vu, existent par exemple en français, mais l'anglais pâtit aussi de certains manques) : il serait ainsi hasardeux de se livrer à des généralisations hâtives et d'affirmer, par exemple, que l'anglais est une langue plus souple que le français, ou que le français permet une précision impossible en anglais. Ces deux langues ont simplement leurs points forts et leurs points faibles et lorsque l'une semble céder du terrain devant l'autre, c'est souvent pour mieux imposer sa supériorité par la suite. Le plus important, comme l'a remarqué notamment la linguiste Henriette Walter, reste peut-être l'histoire d'amour qui unit les deux langues, lesquelles semblent avoir pour principal objectif de se séduire mutuellement, quitte à perdre un peu de leur âme. Le phénomène des faux emprunts, observé tant en français qu'en anglais (« zapping » n'existe pas en anglais, pas plus que « bon viveur » en français), n'est-il pas la preuve de la fascination réciproque qu'exercent les deux langues l'une sur l'autre ?
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